La première tâche vise à formuler et comparer l’efficacité de dix revêtements AF de nouvelle génération, exempts de biocides, développés par les équipes partenaires du projet : les laboratoires universitaires (LBCM, MAPIEM, UQAR), une entreprise française (Nautix) et une entreprise québécoise (Les Enduits Mirapakon Inc.).
La colonisation biologique des surfaces immergées débute par un attachement bactérien réversible mettant en jeu de faibles interactions entre la surface et les bactéries. Dans un second temps, l’adhésion des microorganismes est rendue irréversible par la sécrétion de polymères extracellulaires formant des ponts de fixation entre les cellules et la surface. Ceci permet alors la complexification des communautés microbiennes ainsi que le recrutement de larves et de spores aboutissant au macrofouling. Les revêtements AF alternatifs sans biocides visent à limiter la colonisation irréversible des surfaces (1) en empêchant la fixation des organismes sur les surfaces et/ou (2) en réduisant l’intensité de l’adhérence entre les organismes marins et les surfaces matérielles et/ou (3) en générant un environnement défavorable à la croissance des microorganismes colonisateurs (Lejars et al., 2012). Parmi eux, les revêtements « Fouling Release » (FRC) sont des revêtements hydrophobes présentant une faible énergie de surface qui, en réduisant les forces d’adhésion des biosalissures, leurs confèrent des propriétés d’auto-nettoyage sous contrainte mécanique.
Les laboratoires de recherche LCBM et MAPIEM proposent de développer des revêtements FRC innovants, en rupture technologique avec les solutions existantes, en étudiant l’effet de l’ajout de nouveaux copolymères amphiphiles à une matrice hydrophobe. Un des objectifs est de rendre la surface immergée non favorable aux interactions avec les macromolécules organiques à la base de la formation du film conditionneur. Les données disponibles dans la littérature suggèrent que la formation de ce film est impliquée dans la colonisation biologique ultérieure des surfaces en modifiant certaines propriétés de surface du matériau (charges de surface, énergie libre de surface, mouillabilité, rugosité) (Lorite et al., 2011; Renner et Weibel, 2011). Toutefois, bien que le film conditionneur semble être une étape clé de la colonisation des surfaces immergées, très peu de données sont actuellement disponibles quant à sa caractérisation et à l’effet des conditions physico-chimiques du milieu, mais aussi des revêtements AF, sur sa formation et sur le développement ultérieur du biofilm. En particulier, la nature de la matière organique et son interaction avec les revêtements AF sont susceptibles de varier en fonction des conditions environnementales. C’est donc un paramètre crucial à considérer dans le développement de nouvelles technologies AF.
Ce projet permettra de proposer des voies de caractérisation originales du film conditionneur, notamment les études de sa sa cinétique de formation et son énergie d’adsorption sur différents types de revêtements AF.
L’efficacité des dix AF a été évaluée par des immersions in situ longues durées réalisées en parallèle dans cinq sites : deux milieux tempérés, présentant des états trophiques différents (rades de Lorient et de Toulon, France), un milieu tropical (île de La Réunion, département d’outre-mer français, Océan Indien), un milieu continental froid et humide (Rimouski, Qc, Canada) et un milieu continental sub-polaire (Sept-Îles, Qc, Canada) (Figure 2). Ces différents sites présentent des caractéristiques très contrastées autant du point de vue des conditions climatiques, des populations naturelles résidentes, que des caractéristiques physico-chimiques des eaux qui permettront d’évaluer les revêtements dans des contextes d’utilisation très différents et de tester leur polyvalence. Le choix de ces sites se justifie par les travaux antérieurs réalisés sur ces sites par les trois équipes de recherche impliquées dans ce projet (e.g. Pelletier et al., 2009 ; Duong et al., 2015; Fay et al., 2016; Briand et al., 2017, 2018; Catao et al., 2021). Un indice d’efficacité développé par les deux laboratoires français (Bressy et al., 2014) permettra une évaluation multi-sites rigoureuse de l’efficacité des revêtements. Cette bonne connaissance des milieux d’immersion, aussi bien d’un point de vue physico-chimique que biologique, ainsi que l’expertise des trois équipes universitaires impliquées, sont une plus-value décisive pour le projet qui permettra une meilleure évaluation et validation de l’efficacité des revêtements produits dans des environnements de navigation très contrastés.
L’objectif B9 d’Aichi pour la biodiversité, adopté par la Convention sur la diversité biologique du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, vise à ce qu’en 2020 les espèces exotiques envahissantes et leurs voies d’introduction soient identifiées et classées par ordre de priorité, et que des mesures soient mises en place pour gérer les voies de pénétration, afin d’empêcher l’introduction et l’établissement de ces espèces. Considérant le réchauffement climatique global qui favorise l’expansion biologique vers les pôles géographiques et la mondialisation du transport maritime, il est urgent d’estimer le risque de transfert d’espèces indésirables par le biofouling. Ce risque n’a que très peu été étudié en raison des difficultés inhérentes au suivi des communautés biologiques composant les biofilms en conditions réelles de navigation (e.g. Sweat et al, 2017). Nous proposons d’estimer ce risque via une expérimentation originale et novatrice de transplantations de revêtements colonisés entre quatre de nos sites d’immersion. Le but de ces transplantations est de simuler l’introduction d’espèces dans un nouvel environnement par les coques de navires. Ces transplantations permettront de mettre en évidence les espèces qui resteront compétitives d’un site à l’autre et donc susceptibles de présenter un risque de transfert accru inter-sites suite à leur introduction via la navigation.
Par ailleurs, le fait de disposer de produits AF sans biocides ne garantit ni leur diffusion à grande échelle, ni une transformation et encore moins une transition socio-écologique. En effet, le produit AF retenu par les usagers sera choisi en fonction du niveau de compromis acceptable entre, par exemple, besoins, efficacité, praticité, toxicité et coût. Un comportement est déterminé par un ensemble de variables dont la configuration peut être assez complexe. Par la suite, ce comportement, associé à d’autres, pourrait contribuer à des processus de transformation sociale. Ce projet vise donc également à mieux comprendre la mise en place de comportements environnementaux, dans l’optique d’une potentielle transformation et transition socio-écologique vers l’éconavigation, dans deux contextes sociétaux différents (France/Québec). Il est important de rappeler que le concept de transition fait surtout référence à un changement de système (social, technologique, institutionnel ou économique), il s’agit donc d’une approche « top-down« . Il faut également considérer la dimension de transformation qui fait plutôt référence à un phénomène « bottom-up« , à un changement de valeurs et à des interactions entre les humains et la nature (Hölscher et al., 2018). Tel que présenté par Geels et Schot (2007), l’articulation des niveaux est essentielle.
Les transitions peuvent être définies comme des approches globales pour répondre aux défis de durabilité et être considérées comme des processus (1) multi acteurs, (2) multi-niveaux et (3) multi-phases (Loorbach et al., 2008, cité dans Luederitz et al., 2017).
Les manifestations des transitions peuvent émerger de dynamiques au niveau macro (global), méso (régional) ou micro (local) (Raven et al., 2012; Hansen and Coenen, 2015, cité dans Luederitz et al., 2017). Les protagonistes peuvent être des acteurs de la société civile, du secteur privé ou de la recherche. Il existe aussi différentes phases dans une transition (Rotmans et al., 2001; Vandevyvere et Nevens 2015, cité dans Luederitz et al., 2017). Ces transitions inscrites à plusieurs acteurs et à plusieurs niveaux nécessitent une adhésion au sein des sociétés. Une adhésion qui passe par l’adoption de comportements environnementaux plus ou moins conscients pouvant potentiellement être porteurs de transformation sociale. Kurisu (2015) souligne qu’un comportement environnemental répond à un objectif précis, soit la protection de l’environnement, ou à un objectif large, soit la sensibilisation envers la cause écologique.
Par ailleurs, il distingue la volonté et l’objectif de l’action du résultat réel de l’action; ce sont deux parties distinctes du comportement qui doivent s’analyser de façon différente, ce que l’auteur nomme le « purpose-oriented behaviour » et le « fact-oriented behaviour« . Par exemple, une action peut avoir un effet bénéfique sur l’environnement, mais l’individu, le groupe ou l’organisation qui mène cette action, peut avoir des motifs qui ne sont pas liés à l’environnement et qui sont par exemple d’ordre personnel, économique, etc…
De façon générale, la majorité des chercheurs s’intéressant à la question des comportements environnementaux met l’accent sur la volonté ou l’objectif escompté de l’action. Kollmuss et Agyeman (2002) définissent le comportement environnemental comme « behavior that consciously seeks to minimize the negative impact of one’s actions on the natural and built world (e.g. minimize resource and energy consumption, use of non-toxic substances, reduce waste production)« . Pour ces auteurs, parler de comportement environnemental implique nécessairement la dimension de la conscience humaine, de la volonté. De plus, si le comportement est souvent étudié comme un fait individuel », il est important de considérer que le comportement humain est influencé par l’environnement social » (Ajzen 1991, cité dans Léger et Pruneau 2014). Cette distinction est essentielle dans le cadre de notre projet considérant les deux contextes étudiés (France/Québec).
Bien que l’adoption, ou l’intention d’adopter, un nouveau type de revêtement AF ne constitue pas forcément en soi un comportement environnemental, un tel choix peut tout de même contribuer à mettre en place des processus de transformation sociale, et à plus large échelle, contribuer à définir une transition socio-écologique vers l’éconavigation à l’échelle internationale.